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Chroniques
Jean-Philippe Rameau
Anacréon
Déjà librettiste de Castor et Pollux (1737) [lire notre critique du DVD], Pierre-Joseph Bernard – protégé de Voltaire, qui le surnomme Gentil-Bernard – conçoit avec Rameau Les surprises de l’amour, un opéra-ballet en trois parties présenté à Versailles. Plusieurs fois remanié entre 1748 et 1758 (d’abord un prologue et deux entrées, puis seulement des entrées, etc.), il offre à L’enlèvement d’Adonis et à La lyre enchantée la compagnie d’Anacréon, le 31 mai 1757 à l’Académie Royale de Musique. Dans une intrigue qui mêle personnages terrestres et mythologiques, le rôle-titre débat des bienfaits du vin et de l’amour réunis – comme en témoignent des enregistrements signés Christie et Minkowski.
L’Anacréon découvert ici, en première mondiale, n’est donc pas le « ballet en un acte détaché » repris en 1769 et 1771, mais un ballet héroïque écrit quelque temps plus tôt avec le fidèle Louis de Cahusac [lire notre critique du DVD Zoroastre (1749), La naissance d’Osiris (1754), Les Boréades (1763)] et présenté à Fontainebleau, le 23 octobre 1754. Comme l’inachevé Mirthis – un titre que la biographe Sylvie Bouissou préfère au plus connu Nélée et Mirthis [lire notre critique de l’ouvrage] –, il appartient au projet abandonné Les beaux jours de l’amour, autre triptyque dansé auquel La naissance d’Osiris aurait servi de prologue.
Abandonnant le merveilleux pour favoriser la comédie, Cahusac met en scène le vieillard de Téos (né vers le milieu du VIe siècle avant J.-C.), chantre lyrique attaché aux vers amoureux et à la poésie de banquet, qui tourmente l’amour de Batile et Chloé en faisant croire qu’il s’apprête à épouser cette dernière. La célébration de l’hymen s’organise dans le jardin d’Anacréon, sous les yeux de Chloé effondrée (« Hélas ! cette fête, ces jeux sont des chaînes qu’on me prépare »), avant que le vieil homme ne révèle la vérité (« Qu’à former vos deux cœurs j’ai goûté de plaisirs / Mais c’est en comblant vos désirs que je couronne mon ouvrage »).
Perdu de vue après deux présentations posthumes (1766 et 1771), l’ouvrage en un acte renaît grâce aux recherches de Jonathan Williams. Celui-ci le grave à Londres en février 2014, en amont de la version scénique confiée à la chorégraphe Edith Lalonger, au Queen Elizabeth Hall, en octobre, qui l’associait à Pigmalion (1748). À la tête de l’Orchestra of the Age of Enlightenment, le chef se montre contrasté dans la Ritournelle initiale, brillant serviteur des parties instrumentales et suiveur nuancé de la ciselure prosodique.
Pour ce qui est des trois solistes, nous en applaudissons deux tout particulièrement, peu convaincu par le chant nasalisé du ténor Agustin Prunell-Friend (Batile) : Matthew Brook (Anacréon), baryton-basse qui soigne nuance et diction, et sait être expressif sans déroger au style, ainsi qu’Anna Dennis (Chloé). Si son français démérite, reconnaissons au soprano beaucoup de souffle et de stabilité, idéal pour des airs tels Tendre Amour ! vole à mon secours (Scène 3), où les flûtes s’amusent à singer le timbre de l’artiste, et Mille fleurs parfument les airs (Scène 4), gracieux et pastoral. Enfin, signalons la saine articulation de The Choir of the Enlightenment, présent autant que vif.
LB